En juin de cette année, voilà Chambord qui se prend pour le Mont Saint-Michel, le château se trouve entouré par les eaux du Cher qui est en crue ! Lors de ces inondations qui nous ont donné un avant-goût des conséquences dommageables d’une crue centennale de la Loire ou de la Seine, plusieurs milliers de personnes ont dû être relogées, des entreprises ont été sinistrées. On estime aujourd’hui à plus d’un milliard d’euros le coût des indemnisations reversées au titre du régime spécifique d’assurance vis-à-vis des catastrophes naturelles. Mais qu’en est-il de notre patrimoine commun, des biens culturels qui font notre identité nationale ou locale ?
En fait pas grand chose. Il y a bien sûr le code du Patrimoine qui prévoit tout ou presque, mais en matière d’inondations, rien de prévu !
Moins que pour les conflits armés pour lesquels notre président a lancé à Abou Dhabi, lors de l’inauguration du musée frère du Louvre, le principe d’un fonds international pour la reconstruction et la conservation des biens détruits par l’État islamique.
De nombreux protocoles existent depuis la convention de La Haye en 1954 qui a conduit à la création du Comité international du Bouclier bleu et la mise en place d’inventaires de biens culturels protégés et dont la destruction volontaire relève de la Cour pénale internationale (CPI). A ce jour, seul le djihadiste malien Ahmad Al-Faqi Al-Mahdi a été condamné à neuf ans de prison par la CPI pour « avoir dirigé intentionnellement des attaques » contre des monuments classés au Patrimoine mondial de l’humanité à Tombouctou. Il existe en France un comité français du Bouclier bleu (CFBB) en capacité de mobiliser plusieurs conservateurs, restaurateurs voire architectes pour intervenir en urgence, que ce soit après un conflit comme en ex-Yougoslavie, un accident comme l’effondrement de la bibliothèque de Munich ou en Haïti afin de constituer une chaîne de remise en état des archives publiques. Dans les AVAP, ex-ZPPAUP ou dans les plans de secteurs sauvegardés, la préservation, la sauvegarde ou la mise en sûreté face aux dangers naturels ne sont jamais abordées. Ceci peut conduire parfois, comme l’a montré une étude du CEREMA en 2014, en comparant la réglementation et les prescriptions avec celles définies par le Plan de prévention des risques naturels (PPRn), à des contradictions qu’a du mal à comprendre l’élu local ou le propriétaire concerné. En fait, les architectes des Bâtiments de France assurent la protection de notre patrimoine bâti, mais sans se soucier de son exposition aux inondations. On pourra toujours dire que l’on avait jamais vu cela de mémoire d’habitants comme à Montargis, où le musée Girodet a subi des dégâts, non seulement au niveau du bâtiment, mais aussi au niveau de ses œuvres et peintures.Après les attentats, cette crise nous a fait prendre conscience, encore une fois, de la nécessité d’intégrer la sûreté des personnes et des biens dans notre quotidien et non de se satisfaire de dispositifs de gestion de crise et d’interventions d’urgence.
Près d’une commune sur trois en France est partiellement ou totalement inondable. La menace est partout comme ailleurs en Europe et l’évolution du climat va accentuer les précipitations.
Or, si la majorité de ces communes sont dotées d’un plan de prévention des risques d’inondation (PPRi), celui-ci s’attache principalement à limiter, voire interdire, la construction de logement en zone d’aléa fort afin de ne pas faire exploser le fonds d’indemnisation constitué sur un prélèvement de 12% de tout contrat d’assurance dommage habitation et de 6% sur l’assurance des véhicules, aucune prescription ou recommandation ne vise expressément les biens culturels.
Cependant, d’autres pays ont aussi vu leur patrimoine sinistré, comme en 2002 la République tchèque et l’inondation de Prague. Il y a eu aussi Dresde, Varsovie. Ces pays se sont alors tournés vers l’Union européenne et le Fonds de solidarité européen (FSE) afin de pouvoir se reconstruire.
À la suite et devant le constat du coût élevé des réparations, l’Europe a adopté une directive en 2007, obligeant chaque État membre à réduire les conséquences dommageables des inondations vis-à-vis de la santé humaine d’abord, puis des enjeux économiques, environnementaux et culturels.
En France, nous avons depuis adopté en juillet 2014 une stratégie nationale de gestion des risques d’inondation (SNGRi) et les collectivités s’organisent aujourd’hui dans le cadre de stratégies locales (SLGRi) et de plans d’actions pour la prévention des inondations (les PAPI). Ainsi, 122 territoires à risques importants ont été retenus pour prioriser les actions ? L’examen des premiers dossiers montre l’absence de prise en compte du patrimoine.
À ce titre, il faut noter la démarche entreprise par l’établissement public Loire (EPL) pour élaborer avec l’aide d’Artelia (ex Sogreah) une méthodologie d’évaluation de la vulnérabilité d’ensembles monumentaux et définir par la suite les modalités nécessaires à leur mise en sûreté en cas de crue.
Au-delà de la mise en application de la Directive inondation, il existe deux démarches complémentaires de la réponse de sécurité civile de l’Etat qui intéressent directement les biens culturels : le plan communal de sauvegarde (PCS) élaboré sous la responsabilité du Maire et le plan particulier de mise en sûreté (PPMS) à la charge des responsables de lieux abritant des personnes vulnérables comme les établissements scolaires ou sanitaires.
Ces dispositifs sont inscrits dans le Code de la sécurité intérieure qui replace le citoyen comme acteur et non comme unique destinataire des secours. En effet, depuis 2004, nous avons changé notre logique et cela se traduit par la nécessité d’une culture du risque qui permette à chacun de faire face en cas de danger ou d’alerte. Ceci est une révolution pour un pays où l’État est d’abord un État qui protège et où le citoyen pense avoir plus de droits que de devoirs.
Ainsi, on peut envisager que le Maire identifie dans son PCS les éléments culturels qui constituent le patrimoine de la commune et qu’il définisse les dispositifs pour en assurer leur sauvegarde en cas d’inondation. De plus, chaque responsable de biens ainsi identifiés, aura à évaluer les conséquences possibles et élaborer la réponse la plus adaptée dans son PPMS.
Un exercice annuel permettra alors de tester les dispositions envisagées.
La conservation du patrimoine nous permet de préserver un héritage par définition irremplaçable, mémoire des générations passées, essentiel au devenir d’un territoire. Élaborer un PCS et un PPMS permet d’anticiper la crise et d’en minimiser les dégâts. Les œuvres prioritaires sont déterminées et les lieux de repli fixés. De ce fait, les plans des établissements répertoriés (ETARE) par les SDIS sont insuffisants car ils visent la sécurité des personnes et non l’évacuation des œuvres par exemple ; mais le Schéma départemental d’analyse et de couverture des risques (SDACRE) peut être toujours amélioré !
Aujourd’hui, la DGPR, qui assure la transposition de la directive européenne inondation, multiplie les initiatives pour une prise en compte des biens culturels : séminaires et guide méthodologique avec l’Alliance des villes euro- méditerranéennes de la culture (AVEC), élaboration d’une qualification « résilience aux inondations » avec le MCC pour le label Musée de France, mise en place d’un volontariat au sein du Bouclier bleu (CFBB) pour la mise en sûreté des biens culturels, sensibilisation des élèves de Chaillot et des écoles d’architecture, réalisation de campus pour les étudiants avec le CPIE de Vaucluse, formation de référents inondation…
Ces initiatives sont aussi exposées lors des rencontres internationales comme à Sendaï (Japon) en mai 2015 où l’ONU a redéfini sa stratégie internationale (ISDR). Nous y avons présenté le plan mis en œuvre par le Musée du Louvre à Paris face à une crue majeure de la Seine.
Enfin, cette approche est nécessaire car notre patrimoine est un facteur majeur de notre résilience collective et individuelle. C’est la perte de l’album familial de photos que les sinistrés regrettent le plus, une double peine en quelque sorte.
Il est aussi facteur de lien social comme le démontre le succès des Journées européennes du patrimoine. On peut envisager qu’une fois elles donnent la priorité à la résilience des biens culturels.